Lectures en cours : .expub et permacomputation
Cette rubrique, lectures en cours, existait jusqu’ici dans mon atelier de thèse – désormais transformé en atelier de recherche –, cachée, non publique. Présenter de façon régulière les lectures entamées – mais qui ne seront peut-être jamais terminées – crée un pont entre une veille (irrégulière), des billets de recherche (trop sporadiques) et des publications scientifiques (dans le temps long du milieu académique). Il s’agit de quelques notes éparses qui concernent plusieurs documents découverts récemment, réunis par une question de recherche active, un désir synchronique ou un espace commun (le bureau, la table de nuit, le sac, le gestionnaire de références bibliographiques). Intérêt scientifique, curiosité, recommandation, forme intrigante, envie de partager, publication importante dans mon champ, réaction à chaud : lectures en cours c’est un peu tout ça mélangé, sans trop de formalisme.
Expub: exploring expanded publishing
Les publications d’Institute of Network Cultures sont toujours intrigantes, dans le bon sens du terme. Comme le dit Silvio Lorusso, cette structure reste l’un des rares lieux qui publie des livres que l’on a envie de lire mais que personne n’a les moyens de publier.
Expub: Exploring Expanded Publishing (Citation: Campagna, Ceccarelli & al., 2025) Campagna, T., Ceccarelli, M. & Pinto, C. (2025). Expub: exploring expanded publishing. Institut of Network Cultures. est le résultat d’un projet de recherche autour du concept d’expanded publishing. Difficile à traduire en français, on peut circonscrire cette expression comme la considération de la publication/édition comme un espace de création et d’expérimentation ouvert, et non une activité qui fige ou qui survient à la fin d’un projet. Le livre existe en version numérique (https://expandedpublishing.net) et en version imprimée (https://networkcultures.org/blog/publication/expub-exploring-expanded-publishing/), la première tentant de démontrer cette dimension vivante ou organique.
Ce qui m’intéresse dans ce livre tient en quelques points. Tout d’abord le manifeste de sept pages, denses, propose seize interrogations (à la fois pertinentes, provocatrices, et ouvertes), et qui se termine sur “Abolish dominant publishing.” Ensuite les essais proposent des analyses et des positions très enrichissantes pour le domaine des études de l’édition, et notamment les questions de multimodalité, d’archives numériques, de flux, de plateformisation, etc. La forme du livre lui-même est aussi originale. Il y a un renversement de la temporalité : les essais apparaissent en premier lieu, puis les entretiens dont sont issus les essais. Le livre est imprimé dans une magnifique bichromie noir/orange (bien visible sur le site web, mais qui ne rend pas grand chose en PDF), on ne peut pas rater l’objet ! Le fonctionnement de l’index est bien pensé, des passages sont mis en exergue en italique et en orange avec la référence dans la marge (dans le quatrième essai ce sont carrément des moitiés de page qui passent en orange). Enfin, le jeu de typographie avec les lettres “expub” : chaque lettre des titres, que ce soit “e”, “x”, “p”, “u” ou “p” utilisent cette police typographique originale.
Ce livre fait le lien entre des travaux sur les publications multimodales/multiformes, des démarches artistiques sur la publication et plus éloignées de l’édition (en tant que marché ou écosystème), les questions d’organisation du travail à travers les modes de production, etc. Et je trouve toujours intéressant le fait de nommer un projet en inventant une extension de fichier, ici “.expub”.
“La permacomputation est une littératie écologique · Entretien avec Aymeric Mansoux”, Servanne Monjour
Servanne Monjour s’est entretenue avec Aymeric Mansoux pour un numéro spécial “Sobriété numérique” de la revue Humanités numériques (Citation: Mansoux & Monjour, 2025) Mansoux, A. & Monjour, S. (2025). La permacomputation est une littératie écologique · Entretien avec Aymeric Mansoux. Humanités numériques(11). https://doi.org/10.4000/14990 . J’ai également fait un entretien avec Servanne Monjour dans ce numéro, et la moindre des choses était de lire cette interview ; en vrai j’attendais beaucoup de cet entretien dont j’avais entendu avant sa publication. Aymeric Mansoux y réalise un beau travail d’équilibriste : expliquer les luttes d’hier pour comprendre les positionnements épistémologiques et militants d’aujourd’hui. Dans un contexte de pré-effondrement qui peut prêter au dramatique, Aymeric Mansoux explicite des démarches qui sont à la fois positives, critiques et inclusives. On comprend que le mouvement appelé permacomputing est loin de pouvoir se résumer facilement, et qu’une belle diversité de pratiques se fait autour d’un désir profond de ralentir. La question n’est plus de savoir s’il faut décroître, mais de comment les efforts peuvent être mutualisés et partagés pour le faire dans le champ de l’informatique. Il s’agit de faire correspondre des actions concrètes comme le recyclage d’ancien matériel informatique avec un projet politique très clair :
On ne résoudra pas les problèmes liés à la culture automobile avec des SUV électriques respectant les limitations de vitesse. C’est exactement la même logique qui s’applique ici. (paragraphe 34)
Étendre avec des limites
Ces deux publications se croisent sur plusieurs aspects, j’en retiens deux principaux, qui nourrissent mes recherches :
- la dimension créative dans des contextes contraints : que ce soit les différentes situations d’expérimentation citées dans les textes de Expub, ou dans l’entretien entre Servanne Monjour et Aymeric Mansoux, l’enjeu est de créer avec ce qu’il y a de disponible ;
- il ne peut pas y avoir de reproductibilité de nos usages actuels en prenant en compte ces contraintes : c’est un nouveau projet politique qu’il faut envisager.
Références
- Campagna, Ceccarelli & Pinto (2025)
- Campagna, T., Ceccarelli, M. & Pinto, C. (2025). Expub: exploring expanded publishing. Institut of Network Cultures.
- Mansoux & Monjour (2025)
- Mansoux, A. & Monjour, S. (2025). La permacomputation est une littératie écologique · Entretien avec Aymeric Mansoux. Humanités numériques(11). https://doi.org/10.4000/14990